«Balade ordinaire sur le Sentier des lauzes. Il a plu fort toute la nuit. Le sol, détrempé, est encombré de restes d’autres saisons. Courte montée sous les arbres.
D’en haut un point lumineux apparaît, petite lampe qui luit dans le sombre. Elle se dresse à l’extrémité d’une fine branche de pin noircie, une branche tout à fait commune mais installée en position de corps articulé qui déploie une petite tête à face éclairante. Là où la branche a été sectionnée, sur toute la tranche de la coupe une peinture d’or blanc ou d’argent (ou autre?) a été passée. Cela intrigue. le regard cherche…
D’autant que, Juste au dessous, des troncs de pins assez gros, tronçonnés net (étaient-ils déjà posés ainsi sur le sol?) dévoilent eux aussi à chaque tranche de leur coupe une membrane d’or blanc, délicatement posée : Je pense tout de suite à des pansements appliqués avec grand soin, particuliers, ils dégagent de la lumière. Ils rayonnent, scintillent même dans le sombre.
Le regard s’attarde, s’interroge, fasciné par l’étrange rayonnement: issu de ces «dorures» particulières rencontrées là, presque par hasard, sur ce chemin encaissé, un peu creusé: Cet endroit, plein d’ombres épaisses il fait presque noir, qui tient de l’abri, ou même de la cache attendaient peut-être ces peintures argentées sur bois devenus précieux pour qu’elles voisinent maintenant avec les lichens blancs des arbres alentour…
En face, sur l’autre bretelle du chemin qui monte, deux couples de gros tronçons de pins en travers du chemin, montrent, eux aussi leur coupe passée à l’or jaune, cette fois, un jaune éclatant qui capte fort, à ce moment de l’après-midi la lumière entre les branchages…
Ce qui frappe c’est l’attraction qui se manifeste d’un morceau d’arbre à l’autre, rayons émis de tronc à tronc, émanant des fibres originelles de l’arbre coupé, comme s’il fallait réparer la cassure, ou du moins lui donner un sens… révéler une autre vie de l’arbre…
Ainsi, ces troncs coupés avec leurs pansements d’or et d’ argent, sont si importants , là, cachés au creux du Sentier. Ils attisent le regard ; réveillent des frémissements de matières vives, libèrent des flux d’énergies insoupçonnés, jaillissements de nouvelles sèves…
Je suis retournée visiter l’installation d’Elodie Lefebvre plusieurs fois, attirée par la poésie de l’ensemble, sa légèreté, sa simplicité, la force de ses révélations.
Lors de ma dernière visite, il ne restait que quelques bribes argentées au milieu d’un brouillon de branches cassées dérangées, en travers du chemin. «Ce n’était pas fait pour durer. Cela devait être ainsi…» ( E.L)
Ginette Matthieu – Sentier des lauzes – 2010